La Belgique n'échappe pas non plus au phénomène. L'Institut Fédéral des Droits Humains (FDH) souligne que le SLAPP est "un risque réel" en Belgique (site internet consulté le 1er octobre 2023):
Les adversaires des journalistes entravent délibérément leur travail en engageant des procédures judiciaires à leur encontre. Il s'agit d'une forme délibérée d'intimidation, notamment en raison des indemnités souvent élevées qui sont demandées. En outre, ces procédures constituent également une lourde charge pour les journalistes, particulièrement pour ceux qui travaillent en tant que freelance ou pour de petites rédactions, et ne peuvent donc pas faire appel à un soutien important dans leur environnement de travail. Après tout, même si les plaintes s'avèrent finalement non fondées, les journalistes auront déjà dû investir beaucoup d'argent et de temps pour leur défense. Cet argent et ce temps n’auront entretemps pas pu être consacré à leur travail d'enquête.
Louvain
Par exemple, le promoteur immobilier Resiterra a tenté de faire taire la Société historique de Louvain au sujet du développement du site Hertogen à Louvain, qui impliquerait la démolition de patrimoine. Resiterra a convoqué le conseil d'administration de la société et a demandé 100 000 euros de dommages et intérêts à chaque membre du conseil d'administration devant le tribunal civil pour le retard pris par le projet en raison des recours de la société contre les permis délivrés. La demande du promoteur a toutefois été rejetée en avril 2021.
Apache
Le plateforme de recherche journalistique indépendante Apache a également eu des problèmes avec un promoteur immobilier. Erik Van der Paal (Land Invest Group) a tenté, par une série de procès contre les journalistes d'investigation d'Apache, de faire échouer les enquêtes sur ses projets immobiliers et ses liens avec le conseil municipal d'Anvers. Van der Paal a fait appel et s'est même pourvu en cassation, mais toutes ces affaires ont été rejetées. Si son intention était de frapper financièrement Apache, il a infligé des coûts considérables au plateforme. La Cour d'appel d'Anvers a accordé à Apache 10 000 euros de dommages et intérêts pour procédure aggravée ou téméraire, mais cette somme est largement insuffisante pour couvrir tous les frais de justice (plus de 70 000 euros, sans compter les frais payés par l'assurance) (voir aussi ici).
Pollinkhove
Une entreprise installée au centre de Pollinkhove, commune de Lo-Reninge en Flandre occidentale, compromet la sécurité aux abords de l'école communale voisine et l'habitabilité du village. C'est du moins ce que pense Rigobert Declercq, un habitant de la commune, qui tente d'agir. Le gérant de Voeders Nollet, l'entreprise concernée, a déposé une plainte pour harcèlement ('stalking') à l'encontre de M. Declercq en juillet 2021. En octobre 2023, il comparaît devant le tribunal correctionnel pour harcèlement "par prise de photos et vidéos de l'entreprise d'alimentation Nollet, des dirigeants, du personnel et des clients", et il risque également une injonction et des milliers d'euros de dommages et intérêts. Par jugement du 6 novembre 2023, le tribunal de première instance de Flandre occidentale, département d'Ypres, l'acquitte en première instance faute de preuves. Aucun appel n'a été interjeté contre ce jugement. Et la plainte pour diffamation de la même entreprise contre Declercq est désormais classée sans suite.
RSCA Anderlecht vs Hauspie/Humo
Suite à un article paru dans Humo sur le malaise au sein du club de football d'Anderlecht, le Royal Sporting Club Anderlecht (RSCA) a assigné en justice le journaliste Jan Hauspie pour atteinte à sa réputation. Dans un jugement du 15 avril 2024, le tribunal de première instance de Bruxelles a balayé toutes les objections à l'encontre de l'article en des termes inhabituellement sévères. Le juge estime que le RSCA a mené cette procédure dans le but d'intimider le journaliste et conclut que la demande ‘flirte à tout le moins avec les limites du téméraire et vexatoire’. Lisez ici un article sur cette affaire (PDF, Néerlandais), reproduit avec l'autorisation du Juristenkrant du 8 mai 2024.
Creadomus
Le promoteur immobilier belge Creadomus vend des biens immobiliers, y compris en Allemagne. Quelque 150 Belges qui ont acheté un appartement en Rhénanie-du-Nord-Westphalie et en Basse-Saxe par l'intermédiaire de Creadomus entre 2015 et 2018 se sont sentis floués, ont attaqué cette société immobilière en justice et se sont regroupés au sein de l'asbl « Samen Sterk! ». Depuis lors, les administrateurs de l'association ont reçu des mises en demeure émanant de cabinets d'avocats renommés, tels que Eubelius, les menaçant de procédures pénales ou civiles et de demandes de dommages-intérêts très élevées, en raison de la publication d’informations critiques à l’encontre de Creadomus sur le site web de l’asbl www.samensterkvzw.be. Les rédactions des journaux qui ont publié des articles critiques ou rendu compte de ces procès ont également été menacés et certains rédactions ont mis hors ligne certains articles et déclarations. Samen Sterk! n'a pas répondu positivement aux demandes de retrait d'informations de son site web.
Dans une série de procédures en Allemagne, les personnes lésées ont obtenu gain de cause en première instance, et des dizaines d'actes d'achat ont été annulés dans l’intervalle. Creadomus a fait appel et les menaces de poursuites et de procédures baillons se poursuivent. Entretemps l'asbl Samen Sterk! se bat également pour une meilleure protection des consommateurs dans ce contexte. Elle a adressé une pétition à la Chambre des représentants pour demander au législateur d'interdire la vente aux consommateurs de droits réels d'utilisation portant sur des biens d'investissement immobiliers. Cela aussi a provoqué une mise en demeure d’un autre cabinet d'avocats, cette fois le cabinet Arcas Law, demandant que la pétition, qui a entre-temps été publiée sur le site web de la Chambre, soit retirée. Il est également demandé que plusieurs articles de presse et informations critiques concernant Creadomus et les entreprises liées à Creadomus soient retirés du site web de Samen Sterk! La mise en demeure contient des menaces de demande en dommages et intérêts pour un montant de 1,2 million d'euros et de poursuites pénales pour diffamation.
Une fois de plus, cela montre comment certains avocats et cabinets d'avocats réputés collaborent aux tentatives de faire taire les voix critiques et les tentatives de participation à des débats d’intérêt public, en menaçant de poursuites judiciaires qui s'apparentent à des poursuites-bâillons ou qui présentent des traits d'abus de procédure ou d’actions téméraires et vexatoires.